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Balade en Absurdie

10 août 2020
par  Sébastien Van Malleghem
( Photo , Demain, après le virus... )

Où partir en voyage alors que la Belgique et l’Europe nagent en pleine pandémie de la Covid-19 ?

Les signaux du gouvernement clignotent constamment entre l’orange et le rouge, les prises de températures à l’entrée dans le pays, et voilà que l’on nous impose de laisser nos coordonnées dans les restaurants. Il faut certainement fuir, mais où ? C’est à cette question que j’ai tenté de répondre durant une semaine, pendant laquelle j’ai voyagé en Belgique, au royaume de l’absurde avec pour seule boussole un « Atlas Obscura » et comme seul compagnon mon cher Nikon Z7. J’ai évité la côte belge, la Grand-Place, le château de Bouillon et autres hauts lieux du tourisme national pour me plonger dans un monde quasiment vide des touristes et vacanciers masqués en mal de liberté et de fraicheur.

La météo mitigée m’a forcé à prendre ma voiture pour me rendre à quelques pas de la frontière néerlandaise, dans la commune de Bassenge où j’ai visité la tour de pierre d’Eben Ezer dominée par ses chers « Chérubins de l’Apocalypse ». Là, une sorte de croisement entre le lion de Saint-Marc et une femme sirène surplombe un jardin rempli d’étrangetés et de cromlech… Il ne m’en fallait pas plus pour faillir à ma promesse (de ne pas quitter le pays) et pour aller jeter un œil de l’autre côté de la frontière et me retrouver dans la zone ENCI, une carrière d’où l’on extrait le calcaire entourée par une réserve naturelle fort bien entretenue. Là, en marchant sur un demi pont suspendu, je croise un jeune couple ; madame se fait photographier en sous-vêtements pour instagram face à l’usine qui surplombe l’énorme carrière au sein de laquelle on a retrouvé des ossements de dinosaures entiers.

Mon GPS se mit aussi à clignoter, pour m’indiquer de revenir au plat pays, de me diriger plus au nord, nord-est plus exactement. Dans ce nord-est, je marcherai dans le Sahara, un Sahara belge, celui de Lommel. Ce sable fin et ce bassin se trouvent sur un site industriel abandonné en Campine où vivait autrefois une mine de sable de quartz. Une industrie de zinc a fait dépérir tous les arbres de la zone ; après avoir été utilisée un temps par un armurier pour tester des grenades, la zone abrite aujourd’hui une réserve naturelle jonchée de déchets, et parsemée de sentiers de randonnée au détour desquels on pourra admirer aussi bien les oiseaux que les serviettes hygiéniques qui trainent dans les buissons, ou encore une tour d’observation qui évoque la coque d’un bateau géant dominant un lac calme qui me fit voyager quelques instants vers les plaines perdues du Canada.

Louvain, ville étudiante, lieu de savoir. Le savoir, il en est question lorsque l’on regarde le « Totem » érigé par Jan Fabre en hommage aux 575 ans de l’université de la KUL ; un scarabée géant empalé sur une aiguille tout aussi grande, et plus loin le petit « Fonske », comme un nain dont le regard ressemble à un abîme et qui s’abreuve d’un savoir infini en lisant, ô bonheur, sous les yeux de tous.

En pleine pandémie, les avions sont cloués au sol. Ou pas. Sur la route de Gand, je m’arrête sur le parking de l’entreprise GoWalt, qui a décidé de mettre un vrai Boeing 707 sur le toit de son hangar.
Vu de l’extérieur, le building a la gueule d’un diner américain flanqué d’une statue de la liberté qui trône en face des places de parking où dort un vieux coucou de l’armée belge démembré.
Les couleurs fanées de notre drapeau étaient encore visibles sur les ailes de ce triste oiseau de métal qui me disait « Go » du bout de son nez.

Il me reste encore une ville à revoir : Ypres. Je la traverserai pour aller manger un bout, et pour admirer le coucher de soleil sur le toit de l’ancien centre de villégiature « KOSMOS » désaffecté de Heuveland/Westouter, quelques kilomètres plus loin. Ce bâtiment des années 1970 laissé à l’abandon, m’a donné à imaginer quelques scènes de fin du monde - à la Walking Dead, sentiment renforcé par deux cavalières traversant la lumière de fin de journée. En famille, il suffit de suivre le chemin qui se trouve à droite de la friche pour découvrir une réserve naturelle, un amphithéâtre en plein air dans lequel les marmots peuvent hurler, et des toboggans type art brut pour les faire rigoler.

J’étais complètement à l’ouest, alors j’ai remis le cap sur l’est, pour gravir les marches d’un escalier en acier inoxydable, impossible à taguer, quasiment indestructible. Cet escalier, qui grince quand même pas mal, porte le nom de VLOOYBERGTOREN, à Tielt Winge, et bien sûr, il ne mène nulle part…

À la nuit tombée, je téléphone au concierge du château d’Hélécine pour qu’il m’ouvre l’imposante grille d’acier qui protège ce monument néoclassique du XVIIIe siècle afin d’en faire quelques clichés. À l’origine, le château était une ancienne abbaye fondée par l’ordre des Prémontrés.
Le parc, un écrin de verdure de 28 hectares, brille à travers mon objectif Noct ; et je repense aux idées des Lumières, le temps de quelques poses longues.

En fin de voyage, je marcherai entre les érables du Japon, les pins, et les magnolias, sur un pont en zigzag, dit Yatsuhashi, et autour de la maison de cérémonie « Korokan », qui signifie « havre de paix pour les voyageurs ». Me voilà « zen » pour contempler les énormes Koïs aux couleurs contrastées qui dominent les eaux des étangs de ce jardin, où les ombres sont tout aussi élégantes que l’architecture. J’ai cru me trouver au Japon durant une bonne heure, alors qu’en fait j’étais assis à Hasselt.

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