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Pour donner de l’air aux arts de la scène, le KVS teste l’ouverture

10 mai 2021
par  Fernand Letist
( Presse écrite , Le virus de l’art )

Fin avril, le théâtre flamand Bruxellois a été le premier opérateur culturel belge à expérimenter la formule « événement-test » en public et à l’intérieur, sous contrôle scientifique. Pour démontrer, résultats à l’appui, que son lieu et son activité méritent le label covid safe. Et rouvrir après six mois. Enfin !

Lundi 26 avril, c’était « filage » au KVS, le théâtre flamand bruxellois. Une dernière répétition d’un type particulier autour de sa pièce « Jonathan ». Non pas pour vérifier si ses deux comédiens/auteurs, Bruno Vanden Broecke et Valentijn Dhaenens, maîtrisaient toujours bien le texte de leur oeuvre créée en septembre 2020, avant un nouvel arrêt brutal et total du secteur sous l’effet du deuxième confinement. Il s’agissait surtout en ce jour particulier d’initier la première expérience-test covid safe belge autour d’un spectacle vivant en intérieur, en présence d’un public, après une demi-année de douloureuse abstinence. Côté cour ou côté jardin, le KVS avait de toute façon prévenu par la voix de son directeur artistique Michael De Kock : « nous rouvrirons ce 26 avril et sommes résolus à reprendre nos activités sans plus attendre ». Lassée d’attendre l’autorisation de faire revivre sa salle et sa sène, la direction du théâtre royal flamand entendait démontrer que tenir une représentation à l’intérieur devant un public, cela pouvait se faire sans risque et dans le respect des règles sanitaires en vigueur.

L’initiative frondeuse qui s’annonçait illégale s’est finalement vue commuée - avec la bénédiction du commissariat Corona, du Ministre-président flamand et de la Culture Jan Jambon et du Bourgmestre de Bruxelles Philippe Close-, en un des trente événements-tests sanitaires autorisés et planifiés par le fédéral jusqu’à la fin mai. Le KVS en est même devenu le premier de la liste.

« Le but est de démontrer sans plus attendre que nos spectacles vivants à l’intérieur sont covid safe et en donner les preuves scientifiques concrètes à partir de vrais résultats validés. Cette base de données vise à accélérer une réouverture rapide de tout le secteur des arts de la scène, à nous libérer et vite oublier les contraintes injustes qu’on nous impose depuis des mois » souligne Merlijn Erbuer, directeur administratif du KVS. Pour cela, le théâtre flamand a déployé les grands moyens dès cette première soirée test réservée à un public mêlant « pros » du monde culturel et journalistes. Avant, dès le mercredi soir, d’entamer pendant trois soirs les représentations en présence d’une centaine de spectateurs lambda bénévoles. Pour ensuite faire grimper jusqu’au 8 mai la jauge de public à 250 personnes, soit la moitié de la capacité du « Bol », le pseudo de la salle de spectacle du KVS

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© Fernand Letist
Qualité de l’air, le marqueur prioritaire

Mais avant l’expérience artistique, priorité au test et mesures sanitaires. Dès l’arrivée, tout spectateur ayant dûment réservé est accueilli à l’arrière du KVS où se dressent six tentes blanches dans lesquelles sont pratiqués des tests antigéniques rapides confiés au prestataire Covid Safety Services. Hop, bas le masque et nez en l’air, dans lequel est introduit un écouvillon de prélèvement. On patiente quelques minutes jusqu’au verdict. Tout spectateur testé négatif suit ensuite un parcours balisé jusqu’à l’intérieur, avec halte au distributeur de gel puis placement en salle ou au balcons par les hôtesses selon un protocole strict (deux sièges vides entre chaque personne, un clairsemage calibré des spectateurs, et tous déplacements encadrés par les hôtesses…) et le masque en permanence. Chaque participant recevra ensuite par mail une convocation pour aller passer 7 jours plus tard un test PCR dans un centre officiel.

« Comme vous le voyez, on applique à la lettre procédures et mesures, note Merlijn Erbuer l’administrateur du KVS. Mais la clé de la sécurité sanitaire c’est la qualité de l’air dans la salle de spectacle, insiste-t-il. Deux entreprises ont été engagées pour s’occuper de ce volet. L’une, Airvisor, gère l’infrastructure technique de mesure de cette qualité en temps réel grâce à 5 capteurs sophistiqués qui analysent simultanément le niveau de CO2, le taux d’humidité, le niveau de particules fines, vecteurs potentiels de la circulation du virus. L’autre, Poppy, est en charge de l’interprétation scientifique des données recueillies. Notre système Risk Calculator calcule en temps réel le risque de contamination sur base des paramètres de circulation d’air et du nombre de personnes présentes. La collecte de ces données permet de tirer des enseignements d’une soirée à l’autre et, selon les résultats, d’adapter la jauge du public. » Cependant, les statistiques et résultats globaux de l’opération KVS ne seront connus qu’à la mi-mai et évalués conjointement avec ceux de la Toneelhuis d’Anvers sur le point d’expérimenter la m^me démarche début mai.

« Ceci n’est pas la nouvelle normalité »

La direction du KVS est plus que confiante : « En amont, notre installation d’aération tout-à-fait classique et notre infrastructure de spectacle avaient été examinées et validées par le virologue Nathan Clumeck lui-même. On a un dispositif d’accompagnement et de monitoring solides. Je suis persuadé, déclare Merlijn Erbuer, que le KVS va faire la démonstration, données à l’appui, que nous sommes covid safe dans cette configuration d’art de la scène indoor et face à une jauge jusqu’à 250 personnes. Avec en vue une réouverture encore plus large dès juin. Il est temps de revenir à la normale ». Car « Ceci n’est pas la nouvelle normalité », comme le proclame une phrase barrant en grand et en deux langues les tentes d’accueils sanitaires à l’arrière du KVS.

Alors que les invités « pros du spectacle » arrivaient au compte-goutte à cette première soirée expérimentale (du réalisateur Jaco Van Dormael aux comédiennes flamandes Sarah De Bosschere et Anne-Laure Vandeputte, etc), Michael De Cock, le directeur artistique du KVS martelait avec entrain à qui voulait l’entendre : « on a vraiment besoin de se retrouver et de se réinventer. Notre initiative doit faire avancer les choses. La culture c’est de l’humanité qui rassemble. Il était plus que temps de démontrer que tous les tests, mesures et interdictions qui se sont abattues sur les salles de spectacles depuis des mois sont inutiles et/ou inadaptées à notre secteur de l’art vivant car on est covid safe et responsable ».

Après son test, négatif, Jaco Van Dormael abonde dans le sens du directeur artistique, ami et collègue. « Je me devais d’être ici, en soutien, par solidarité avec mes copains flamands du KVS. Ils ont réussi à braver un interdit et leur démarche sert également à démontrer que penser, comme le fait le politique, selon un modèle de castes rigides par secteur, cela ne mène à rien, estime le réalisateur de « Toto le Héros ». Les situations peuvent fortement varier d’une salle de spectacle à une autre ; tout comme une rame de métro selon qu’on l’envisage à l’heure de pointe ou en heure creuse, c’est très différent. J’espère que ces tests démontreront par l’absurde et résultats objectifs scientifiquement validés que ce théâtre peut fonctionner en intérieur, comme une majorité d’autres, en toute sécurité. Rouvrir les théâtres et autres lieux de spectacle, c’est rendre service à la beauté, notamment celle de la création artistique, et c’est très réparateur. Tout comme la pensée, cela passe par rencontrer les gens en chair et en os. Bien sûr, en restant vigilant ».

Avant d’aller rejoindre « Jonathan » (personnage central de la pièce imprégnée du contexte Covid) et ses comédiens, une fanfare de cuivres et tambours s’est spontanément invitée sur le trottoir devant l’entrée du KVS pour soutenir et saluer confraternellement et en musique la réouverture du théâtre flamand à la façade criant en grandes lettres blanches au monde entier : « La Cultura es segura ».

Note : une version plus courte et différenciée de cet article a été publiée par le quotidien L’Echo le mercredi 28 avril

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