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Une passion plus forte que tout, la protection de la nature.

3 février 2021
par  Sabine Leva
( Presse écrite , Tout... sauf le virus ! )

Jean Miévis habite un petit hameau perdu dans les Ardennes, dans le village de Ferrières. À l’âge de 18 ans, le diagnostic d’un fibrosarcome remet en question toute sa vie de jeune homme.

Pour soigner le cancer, l’amputation du bras droit et de l’épaule est la seule alternative possible. Il n’était dès lors plus question pour lui de poursuivre ses études de plombier-zingueur-couvreur. Jean raconte cet épisode de sa vie : « À l’époque, il était de coutume d’orienter les personnes handicapées vers des études dans l’Administration, mais, aimant être actif en extérieur, ces études ne me convenaient pas. Passionné par le vin, je me suis alors lancé dans ce domaine. Mais ma plus forte passion depuis toujours, c’est la protection de la nature. Dès lors, dès 1980, j’ai décidé de collaborer avec un centre de revalidation pour animaux sauvages. »

Qu’est-ce qui t’a poussé à t’investir dans cette cause ?
J’avais rencontré beaucoup de personnes actives dans ce domaine comme Paul Galand, ancien président de la section belge du WWF (Worlf Wide Fun For Nature, organisation mondiale qui protège et restaure la nature), Albert Demaret, qui était psychiatre, éthologue et naturaliste, Roger Ahrnem, ancien président de la Ligue belge de protection des oiseaux. J’avais trouvé logique de m’impliquer aussi, et après 3 ans, mon propre centre était lancé. Avec quelques personnes qui m’aidaient, nous avions ainsi accueilli, soigné et revalidé des milliers d’animaux, ce qui correspondait à plus de 500 à 700 animaux sauvages par an, qu’ils soient des oiseaux, amphibiens, mammifères, reptiles, animaux exotiques. Plus de 216 espèces d’oiseaux différents de l’avifaune sont venus ici, des oiseaux les plus communs comme les moineaux aux plus rares comme le torcol fourmilier, l’engoulevent, le martin-pêcheur, le butor étoilé, le plongeon arctique. En moyenne, nous relâchions 60 % des animaux recueillis. Quand nous étions appelés pour sauver un animal, les raisons étaient multiples, il avait soit été renversé par une voiture, s’était cogné contre une baie vitrée, avait fait un simple épuisement ou était victime de la tenderie, du braconnage ou d’une autre action humaine. Il n’était pas rare que nous nous déplacions pour des gros serpents relâchés par leur propriétaire dans la nature comme des boas et des pythons.

Quel a été pour toi le fait le plus marquant ?
Lors d’une grosse saisie de tenderie illégale qui avait eu lieu dans la région, nous avons reçu plus de 700 oiseaux d’un coup. C’était un monsieur qui se servait des tendeurs pour capturer les oiseaux et qui leur rachetait pour les envoyer en Allemagne et en Hollande. Il s’agissait de chardonnerets, sizerins, bouvreuils, verdiers, gros becs, becs croisés, tous les oiseaux qui intéressaient les amateurs d’oiseaux en cage. Avant, il y avait une tolérance pour certains tendeurs, puis certains de ceux-ci en capturaient beaucoup plus que ce qui était autorisé et les revendaient. Maintenant, la tenderie est interdite. Mais il existe évidemment toujours des braconniers.

Quel a été ton plus beau souvenir ?
Mon plus beau souvenir se porte sur trois jeunes faucons hobereaux âgés de quelques jours. Ils étaient chez une personne qui s’était vantée de les avoir capturés. Nous avons réussi à en sauver deux et nous sommes allés les libérer avec mon père dans les Pyrénées. Ils ont été recapturés par des bagueurs, tous les deux, 1 et 3 ans après, en pleine forme et à des endroits différents. Ce fut un grand plaisir de recevoir de leurs nouvelles, car cela montrait que la revalidation avait réussi.

Était-ce un investissement conséquent ?
Cela prenait beaucoup de temps, parfois la nuit. C’était du bénévolat pour nous. Francis Vandereyden, le vétérinaire qui nous aidait aussi bénévolement, habitait Pepinster. Cinquante pour cent des soins nécessaires, nous les faisions nous-mêmes, mais quand il s’agissait de radiographie, on se déplaçait jusqu’à Pepinster. Francis était un homme fantastique, passionné, qui avait de réelles connaissances, et il nous a souvent donné de judicieux conseils pour sauver des animaux pour lesquels l’espoir était mince. On faisait plus de 20 000 km par an pour la revalidation. Les personnes nous téléphonaient pour venir chercher des animaux blessés, et souvent, si nous ne venions pas les chercher, ils menaçaient de les relâcher dans la nature. C’était une passion qui demandait énormément de temps et aussi d’argent. À la naissance de ma fille, j’ai fait le choix d’arrêter, car je n’aurai pu continuer à m’investir de la même manière. Depuis, la législation a changé, des subsides sont accordés pour chaque animal sauvé, et de nouveaux centres ont vu le jour. Après 20 ans de loyaux services, j’ai laissé la place aux jeunes.

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© Sabine Leva

As-tu continué à t’investir dans une autre passion ?
Je me suis alors orienté vers une passion demandant moins d’investissement en temps et en argent : l’élevage amateur de poules. En effet, il y a 6 espèces industrielles, rousses, blanches, grises, noires... qui sont reconnues comme les meilleures pondeuses. Des chercheurs ont même réussi à sélectionner une espèce qui pond deux œufs par jour. Mais, ce sont les espèces non industrielles qui m’intéressent, même si elles pondent très peu d’œufs, comme les oiseaux sauvages. La poule Brahma, qui peut atteindre 5 kg, ne pond guère plus de 90 œufs par an, mais la majorité des races avoisine les 200, 250 œufs.

Qu’est-ce qui te passionne chez la poule ?
Dans le monde des poules, ce qui m’intéresse, c’est leurs formes, leurs plumages, la couleur des œufs, et les croisements que je peux effectuer. Je trouve que c’est un animal attachant même s’il n’apparaît pas toujours très futé. Je voudrais me lancer dans une race anglaise assez rare, la Cream Legbar. Pour cela, je fais venir des œufs fécondés par colis postal depuis le Lot-et-Garonne. Et aussi dans une race indonésienne, l’Ayam Cemani, où la particularité de la poule est que son plumage, sa peau, ses pattes, ses yeux, sa crête sont d’un noir profond, sauf les œufs. Mon élevage comporte 30 poules, comme la loi l’autorise. J’ai créé un site Facebook, « De l’œuf à la poule.... petit élevage amateur (Belgique francophone) », qui permet à tous les passionnés de partager leurs connaissances et de pratiquer des échanges.

Peux-tu me dire si cette expérience de vie t’a apporté une réflexion particulière ?
Ma passion pour la nature et le vin m’a permis de vivre presque comme tout le monde malgré mon handicap, et de pouvoir voyager et travailler en plein air comme j’y aspirais. Je me sens bien dans ma peau et dans ma tête. La preuve en est que mes proches oublient souvent mes différences quand ils me demandent, lors des courses, de porter plusieurs paquets comme si j’avais toujours deux bras.

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